Les deux arrêts commentés permettent d’illustrer les délais procéduraux qui s’imposent à la chambre de l’instruction (CHINS) lorsqu’elle statue en matière de détention provisoire.
par Hugues Diazle 17 juillet 2020
Crim. 4 juin 2020, P+B+I, n° 20-81.736
Crim. 4 juin 2020, F-P+B+I, n° 20-81.738
En matière de mesure de contrainte ordonnée dans le cadre d’une information judiciaire, toute personne mise en examen, présumée innocente, doit demeurer libre (C. pr. pén., art. 137, al. 1). Ce n’est qu’à titre dérogatoire, en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté, que la personne mise en examen peut être astreinte à un contrôle judiciaire ou, si celui-ci se révèle insuffisant, à une assignation à résidence avec surveillance électronique (C. pr. pén., art. 137, al. 2). À titre exceptionnel, si les obligations du contrôle judiciaire ou de l’assignation à résidence s’avèrent également insuffisantes, la personne peut alors être placée en détention provisoire (C. pr. pén., art. 137, al. 3).
S’agissant de mesures hautement attentatoires aux droits et libertés, le législateur a entendu les encadrer strictement dans leurs effets, ainsi que dans leurs durées. Les praticiens s’attachent tout particulièrement à veiller au bon respect des délais procéduraux, dont la méconnaissance peut entraîner la mainlevée de plein droit du contrôle judiciaire ou de l’assignation à résidence, voire la mise en liberté d’office de l’intéressé (V. not., C. pr. pén., art. 148 et 194). Les deux arrêts commentés permettent d’illustrer très concrètement ce contentieux jurisprudentiel en cas de manquement allégué de la chambre de l’instruction aux délais qui lui sont normalement impartis pour statuer en matière de détention provisoire.
Mis en examen et placé en détention provisoire, le 18 septembre 2019, un justiciable a présenté une demande de mise en liberté (DML), le 28 janvier 2020. Formalisée par le greffe de l’établissement pénitentiaire, la demande était accompagnée d’un courrier manuscrit visant l’article 148-4 du code de procédure pénale, par lequel le justiciable précisait n’avoir toujours pas été entendu par le juge. Rappelons ici que cette disposition permet à la personne détenue, à l’expiration d’un délai de quatre mois depuis sa dernière comparution devant le juge d’instruction, de saisir directement la chambre de l’instruction d’une demande de mise en liberté.
Mentionnant que l’intéressé sollicitait sa comparution devant la chambre de l’instruction, la DML a pourtant été transmise au greffe du juge d’instruction, désigné de manière contradictoire comme destinataire de la demande.
Suivant saisine par le magistrat instructeur du juge des libertés et de la détention (JLD), puis rejet de la demande de mise en liberté, la chambre de l’instruction a été amenée à statuer sur l’appel de l’intéressé. Soutenant que la DML avait été transmise à tort au juge d’instruction, la défense a demandé la mise en liberté d’office, motif pris de ce que la cour n’avait pas statué dans le délai de vingt jours lui étant normalement imparti pour le faire (C. pr. pén., art. 148 et 148-4). Par arrêt du 26 février 2020, la chambre de l’instruction a prononcé la mise en liberté : selon les juges, la DML, parfaitement univoque, avait été transmise par erreur au juge d’instruction en lieu et place de la chambre de l’instruction. Dès lors, considérant les actes du juge d’instruction et du JLD dépourvus d’existence légale, les juges ont ajouté que les dispositions combinées des articles 148 et 148-4 du code de procédure pénale leur imposaient de se prononcer, sous peine de mise en liberté d’office, dans les vingt jours de la saisine – ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce. Le procureur général a formé un pourvoi contre cet arrêt.
Au triple visa des articles 148, 148-4 et 148-7 du code de procédure pénale, la Cour de cassation énonce que « le délai prévu par l’article 148, dernier alinéa, du code de procédure pénale ne peut être considéré comme ayant été dépassé lorsque c’est en raison de mentions incomplètes quant à la juridiction destinataire que la demande de mise en liberté formée et signée par la personne mise en examen a été adressée au greffier de la juridiction saisie du dossier ». Selon la Haute juridiction, la DML avait été faite, tel que cela résulte de la déclaration « dûment signée par [l’intéressé] qui en a validé le contenu », au juge d’instruction saisi du dossier. En raison de l’effet dévolutif de l’appel formé contre l’ordonnance du JLD, régulièrement saisi par le juge d’instruction, il revenait à la chambre de l’instruction d’examiner le bien-fondé de la détention provisoire au regard de l’article 144 du code de procédure pénale. In fine, la chambre criminelle reproche aux juges d’avoir fondé, à tort, leur décision de mise en liberté sur le constat du dépassement du délai de vingt jours, faute pour eux d’avoir été saisis d’une demande directe de mise en liberté (v. not., C. pr. pén., art. 148-7).
Observons que la chambre criminelle semble ici ne pas se contenter de « dire le droit », mais elle vient substituer son analyse à celle des juges du fond : si la Cour se réfère aux « mentions incomplètes » de la déclaration, la chambre de l’instruction avait considéré, quant à elle, que la demande de mise en liberté était parfaitement « univoque ». Du reste, cette notion de « mentions incomplètes quant à la juridiction » qu’invoque la chambre criminelle peut paraître partiellement insatisfaisante. Plus qu’une mention incomplète, ce sont ici, semble-t-il, des mentions « erronées », voire « contradictoires », qui ont conduit à la saisine du juge d’instruction. En effet, la déclaration, qui sollicitait une comparution personnelle devant la chambre de l’instruction et était accompagnée d’une lettre manuscrite visant l’article 148-4, avait été transmise au greffe du juge d’instruction désigné de manière contradictoire comme destinataire de la demande. Difficile de ne pas voir ici – si ce n’est une erreur directement imputable au greffe pénitentiaire, dont il faut rappeler qu’il n’est pas « juge de la recevabilité » – à tout le moins une forme d’« antinomie juridique » qui aurait dû interpeller le rédacteur de la demande.
Particulièrement rigoureuse, en ce qu’elle s’applique à un simple justiciable dépourvu de connaissance juridique, cette décision était pourtant prévisible aux vus des précédents jurisprudentiels rendus en cette matière. Dès 1985, la Cour avait pu juger qu’une telle DML devait être exempte de toute ambiguïté et expressément fondée sur le défaut d’audition par le juge d’instruction depuis plus de quatre mois (Crim. 8 janv. 1985, n° 84-95.059, Bull. crim., n° 13). Plus récemment, la Cour a pu juger, dans une configuration relativement proche, que « le délai pour statuer [ici celui de l’art. 148-2] ne doit pas être considéré comme ayant été dépassé lorsque c’est en raison de mentions erronées, ambiguës ou incomplètes imputables au demandeur, et concernant la désignation de la juridiction destinataire, que la demande de mise en liberté formée par le détenu est parvenue tardivement à la juridiction compétente, qui a statué dans les deux mois de la transcription par son greffe de cette demande » (Crim. 1er avr. 2020, n° 20-80.519, inédit). Une solution semblable avait également été retenue en présence d’un formulaire sur lequel le demandeur avait coché « tout à la fois l’adresse du juge d’instruction, complétée nommément du nom de ce magistrat et du lieu de son exercice et celle de la chambre de l’instruction de la cour d’appel, sans autre indication de lieu, cette dernière complétée, en marge, de l’indication "148-4", sans autre précision » (Crim. 8 août 2018, n° 18-83.518, publié au Bulletin ; AJ pénal 2018. 527, obs. J. Chapelle ). L’arrêt commenté s’ajoute à cette construction jurisprudentielle, en ne reprochant pas au demandeur les mentions inexactes dont il serait lui-même l’auteur, mais les mentions formalisées par le greffe pénitentiaire, qu’il aurait fait siennes en contresignant la déclaration. D’aucuns pourront regretter que le formalisme l’emporte ici singulièrement sur la volonté univoque du justiciable de fonder sa demande de mise en liberté sur l’article 148-4 du code de procédure pénale.
Le second arrêt commenté illustre quant à lui les délais qui encadrent la procédure devant la chambre de l’instruction, en matière de prolongation de détention provisoire, sur appel d’une ordonnance du JLD ayant ordonné une mise en liberté assortie d’un contrôle judiciaire.
Pour constater l’acquisition de plein droit de la mainlevée du contrôle judiciaire, la chambre de l’instruction avait observé qu’elle n’avait pas été appelée à statuer dans le délai de deux mois prévu par l’article 194, alinéas 2 et 3, du code de procédure pénale – la tardiveté de l’audiencement ne trouvant pas son explication dans des circonstances imprévisibles, insurmontables et extérieures au service public de la justice.
Sur pourvoi du parquet général, la Cour énonce que l’article 194, alinéa 3, du code de procédure ne s’applique pas « en cas d’appel interjeté par le ministère public d’une décision de refus de prolongation de la détention provisoire, la chambre de l’instruction statuant alors en matière de détention provisoire et non de contrôle judiciaire ». En réalité, étaient ici applicables les dispositions, plus contraignantes, du dernier alinéa de l’article 194 du code de procédure pénale, prévoyant qu’« en matière de détention provisoire, la chambre de l’instruction doit se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les dix jours de l’appel lorsqu’il s’agit d’une ordonnance de placement en détention et dans les quinze jours dans les autres cas, faute de quoi la personne concernée est mise d’office en liberté […] ». Si le délai de deux mois n’était effectivement pas applicable, celui prévu par le dernier alinéa de l’article 194 n’avait pas plus été respecté : partant, si la cassation a bien été prononcée, l’intéressé s’est trouvé à bon droit remis en liberté.
Découvrez Gil Machado Torres en vidéo.