Après la création d’Eurojust (2002) et la mise en place du mandat d’arrêt européen (2004), il s’agit là d’un nouveau jalon fondamental sur le chemin d’une justice pénale européenne.
Passant outre la règle de l’unanimité, la création du Parquet européen a été rendue possible par la mise en œuvre de la procédure de coopération renforcée. Sa compétence se limite donc aux territoires des 22 Etats membres qui y ont expressément adhéré, à l’exclusion des 5 Etats réfractaires, dont la Pologne et la Hongrie, lesquels comptent parmi les principaux bénéficiaires des fonds européens.
Seules des années de pratique permettront de mesurer l’ampleur des bouleversements qu’induit ce nouvel organe, institué par le Règlement européen n° 2017/1939 du 12 octobre 2017.
Il ressort de ce Règlement que la compétence du Parquet européen se limite pour l’instant à des infractions économiques et financières, telles que le détournement de fonds européens, la corruption active et passive, la fraude transfrontalière à la TVA dépassant 10 millions d’euros, certains délits douaniers et le blanchiment de ces délits.
Ainsi, n’entrent dans le champ de compétences du Parquet européen que les infractions pénales qui « portent atteinte aux intérêts financiers de l’Union » de même que les infractions qui leur sont « indissociablement liées » (articles 2 et 22 du Règlement précité). Une telle exigence est en ligne avec l’objectif initial de la nouvelle autorité de poursuite, celui de détecter et de réprimer au sein des Etats membres toutes pratiques consistant en une utilisation frauduleuse du budget de l’Union européenne et des subventions octroyées par celle-ci.
Dans l’immédiat, entre 60 et 100 des dossiers traités chaque année en France par le Parquet national financier (PNF), les Juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) et les douanes pourraient être transmis au Parquet européen2.
À plus long terme, les compétences du Parquet européen sont susceptibles de connaître un développement considérable avec, par exemple, l’extension de son champ d’action aux infractions de terrorisme et à la criminalité organisée.
Le Parquet européen fonctionnera comme une pyramide à deux degrés.
Dans la partie supérieure, on retrouve le bureau central du Parquet européen, situé à Luxembourg, qui se compose :
La partie inférieure correspond à l’échelon national : dans chaque Etat membre, l’action du Parquet européen sera mise en œuvre par des Procureurs européens délégués (PED) lesquels, comme des magistrats nationaux, conduiront les investigations en recourant aux services d’enquête locaux et exerceront les poursuites à l’encontre des auteurs d’infractions devant les juridictions pénales nationales ce, conformément aux règles de procédure pénale de l’Etat membre.
À noter que les PED sont censés jouir d’une indépendance totale par rapport aux autorités judiciaires nationales et être ainsi à l’abri de toutes interférences d’ordre hiérarchique ou politique.
Il serait toutefois vain de penser que ces PED évolueront en vase clos. Dans le paysage judiciaire français, les 4 PED constituent une nouvelle hydre procédurale, dotée de pouvoirs exorbitants, mi-parquetier, mi-Juge d’instruction, qui pourrait à terme, par contamination, bouleverser les fondamentaux de la procédure pénale française.
La loi du 24 décembre 20203 a en effet inscrit ces PED dans un cadre procédural inédit combinant l’enquête et l’instruction. Exerçant les attributions du Procureur de la République en matière d’enquête, ils se substituent également au Juge d’instruction pour prendre toutes décisions en matière de mise en examen, d’interrogatoire et de confrontation, d’audition de témoins, de recevabilité de la constitution de partie civile et d’audition de cette dernière, de transport, de commission rogatoire, d’expertise, de placement sous contrôle judiciaire ainsi que de mandats de recherche, de comparution ou d’amener.
Au terme de ses investigations, le PED orientera l’affaire vers un non-lieu, une juridiction de jugement ou une alternative aux poursuites en suivant les instructions d’une Chambre permanente qui, à l’échelon européen, regroupe le Procureur en Chef (éventuellement substitué) et 2 Procureurs européens.
Seules les décisions restrictives de liberté, telles que l’assignation à résidence sous surveillance électronique, le mandat d’arrêt et la détention provisoire relèveront encore d’un juge distinct, le Juge des libertés et de la détention.
En définitive, la naissance du PED pourrait accélérer la disparition de la figure séculaire du Juge d’instruction, encore présente dans 10 des 22 Etats membres ayant institué le Parquet européen.
L’un pousse son premier cri, l’autre peut-être son dernier soupir. Si cette évolution devait être irréversible, il nous appartiendra de veiller à ce qu’elle ne mette pas les droits de la défense à bout de souffle…
Kiril Bougartchev et Edward Huylebrouck, Avocats à la Cour, Anciens Secrétaires de la Conférence, Bougartchev Moyne Associés AARPI
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1.* Nous tenons à remercier Mathieu Lanteri pour son aide précieuse dans la préparation de cet article.
2 Etude d’impact du projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice spécialisée, p. 88.
3 Loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée.
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