Nordahl Lelandais a été condamné mardi soir à 20 ans de réclusion criminelle, assortis d’une peine de sûreté des deux tiers. Le matin, l’avocate générale avait requis 30 ans de réclusion criminelle, assortie d’une peine de sûreté des deux tiers, soit la peine maximale. L’après-midi la défense, en vain, avait plaidé les violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
« Un procès criminel, débute l’avocate générale, c’est d’abord un concentré de souffrance, mais être privé du corps de son enfant, c’est une violence inouïe. Elle ajoute : « Mais de l’autre côté de la salle on souffre aussi : être mère d’un criminel, sœur d’un criminel, c’est difficile. On n’a pas derrière soit l’opinion publique. On est seul. Très seul. »
Avant de débuter sa démonstration en faits et en droit, la procureure générale de Chambéry, Thérèse Brunisso souhaite évacuer les fantasmes du tueur en série aux dizaines de victimes potentielles. Après la création d’une cellule de la gendarmerie en 2018 (cellule Ariane), les militaires transmettent une liste d’une quarantaine de cas dont ils estiment qu’ils doivent faire l’objet de nouvelles investigations judiciaires. « Trois ans plus tard, en l’état des investigations, Nordahl Lelandais n’est lié de près ou de loin à aucune de ces disparitions. Lorsque vous allez juger Lelandais dans quelques heures, vous allez juger un homme pour le meurtre de Noyer, mis en examen par ailleurs pour meurtre aggravé, agression sexuelle sur mineurs, détention d’images pornographiques », explique-t-elle aux jurés.
Elle définit également ce qu’est l’intime conviction (« pas une émotion, non plus une simple impression, encore moins une vague intuition »), la magistrate a fait part de la sienne. Elle ne croit pas au récit de Nordahl Lelandais, qui explique avoir pris Arthur Noyer en stop et l’avoir amené sur un parking à Saint-Baldoph à sa demande, alors qu’il est établi par les témoignages de ses camarades militaires et d’une serveuse de boîte de nuit qu’il souhaitait rentrer à la base, où des impératifs l’attendaient le matin de bonne heure.
Nordahl Lelandais, lui, connaissait Saint-Baldoph. Il avait passé une partie de la journée à essayer d’avoir des rapports sexuels, d’abord avec son amant Richard, puis avec sa maîtresse Camille, auprès de qui il a lourdement insisté par SMS, mais qui l’a éconduit. Après ce refus, il se rend à Chambéry. « Dans la nuit, on le voit déambuler en voiture ou à pied, se retournant sur les personnes qu’il croise. Que cherche-t-il pendant 1h30, jusqu’à 3h, alors qu’il sait que tous les bars sont fermés, qu’il ne pourra pas trouver un endroit où acheter des cigarettes ? Que fait-il donc d’autre que chercher une rencontre ? Je ne vois aucune autre hypothèse. Il recherche quelqu’un pour avoir une relation sexuelle, c’est la seule explication », poursuit l’avocate générale. « Pourquoi conduire Arthur Noyer dans un autre endroit, pourquoi le conduire à Saint-Baldoph si ce n’est pour une relation à caractère sexuel ? »
Cet intérêt pour le sexe, tout le démontre, dit la magistrate. « On sait qu’il peut avoir des envies subites. “Sa sexualité participe à son excitation permanente, c’est ce qui le fait se sentir en vie”, a expliqué une psychologue ». Pourquoi ne le reconnaît-il pas ? « Par peur, par autoprotection, par peur d’effondrement sexuel, ou alors plus prosaïquement, s’il le reconnait dans ce procès, il sera obligé de le reconnaître lors du procès pour le meurtre de Maëlys de Araujo », avance-t-elle.
L’avocate générale en vient à la qualification juridique des faits. L’élément matériel ne fait aucun doute, puisque l’accusé lui-même reconnaît avoir tué Arthur Noyer. Mais il plaide la mort involontaire. Qu’en est-il de l’élément intentionnel ? « Comment déterminer cette intention homicide, dès lors qu’on n’est pas dans la tête de Nordahl Lelandais ? Par les éléments du dossier. L’absence de scène de crime, l’absence de corps sont une difficulté. Mais nous avons des éléments importants au dossier. La déconnexion des téléphones. Est-ce l’attitude de quelqu’un qui a tué malgré lui ? »
Ensuite, la disparition du corps. « Il ne se contente pas de faire glisser le corps, c’est incompatible avec les constatations des enquêteurs. Il était si bien caché, ce corps, qu’il a passé un printemps, un été, à 12 mètres d’une route très fréquentée par les cyclistes et motocyclistes. Qu’y avait-il donc de si important à cacher sur ce corps ? Les seules fractures du crâne, ou d’autres choses ? »
Enfin, le sang froid de l’accusé qui n’a rien laissé paraître. « Personne n’a noté le moindre changement, il continue à vivre comme si de rien n’était. Est-ce là le comportement d’un homme qui a tué malgré lui ? Enfin, un homme qui a tué malgré lui, recommencerait-il à tuer cinq mois plus tard ? »
Soulignant sa dangerosité relevée par les psychiatres, et rappelant qu’en matière de meurtre, si la peine maximale de 30 ans n’est pas prononcée, elle doit être abaissée à 20 ans ou moins, l’avocate générale requiert 30 ans de réclusion criminelle, une peine de sûreté des deux tiers et 10 ans de suivi socio-judiciaire.
Après des prolégomènes consacrés à démystifier la personnalité de son client, dont l’aura criminelle, relayée et amplifiée par les médias, ont pesé sur l’enquête et, craint-il, sur les débats, Me Alain Jakubowicz en est arrivé au déroulé de la soirée. Si son récit correspond à celui de l’avocate générale, ses commentaires divergent. Il conteste que Nordahl Lelandais soit en quête d’un corps pour assouvir ses pulsions. « On essaye de donner une connotation à quelque chose qu’on devrait démontrer », lance-t-il, expliquant que rien ne vient soutenir sérieusement dans la démonstration de l’accusation que Lelandais était effectivement à la recherche d’une relation sexuelle. L’avocat, ensuite, passe de longues minutes à tenter de démontrer qu’Arthur Noyer n’était plus si ivre lorsqu’il rencontra Lelandais. « Entre 2h et 3h du matin, il y a matière à dessaouler, et il y a un événement qui l’aide à revenir sur terre, c’est le vol de son téléphone portable. Les policiers qui interviennent pour le vol du portable disent que “clairement, il tenait parfaitement debout”. “Pour moi cet homme avait bu, mais n’était pas déchiré”», dit l’avocat, citant une témoin.
Me Jakubowicz explique ensuite qu’il est inutile de spéculer sur ce qui aurait pu se passer dans la voiture, quelle que soit la vérité que dissimulerait, ou non, Nordahl Lelandais, elle ne peut être établie par le dossier. Il soutient que c’est une bagarre qui a mal tourné, comme l’explique Lelandais : « Je n’ai pas à prouver comment ça s’est passé, c’est à vous de le faire madame la procureur générale ». L’avocat avance la drogue, le choc qui l’ont conduit à faire le mauvais choix, celui de la dissimulation du corps. Mais cela ne prouve pas l’intention homicide.
« Les incohérences d’un accusé ne constituent pas la qualification d’un délit, non plus d’un crime, le silence non plus : le silence est un droit. Il est un autre droit : le droit de ne pas s’auto-incriminer. Un droit fondamental reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme, qui trouve ses exigences dans l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit à un procès équitable. Les incohérences et les mensonges, quand ils sont reconnus par la juridiction, vous pouvez en faire application dans le quantum de la peine, mais pas pour qualifier le fait. Le fait qu’il ait menti – et c’est toute l’argumentation de l’avocate générale – ne suffit pas. Il appartient à l’accusation de prouver sa propre version. Mme l’avocat général est incapable de le faire. En droit, les hypothèses, les suppositions portent un nom. Ce nom, c’est le doute. Votre jugement doit reposer sur votre intime conviction, pas sur votre intime supposition. C’est essentiel. Je sais que ça choque, je sais que celui-ci a tué un homme, je sais qu’il a aussi tué une jeune fille, mais la règle de droit, qui est un rempart contre la barbarie, est essentielle », a plaidé l’avocat.
Plaidant avec force et conviction, d’une voix claire et sonore, l’avocat s’adresse aux jurés : « La question principale qui vous est posée est : est-ce que Nordahl a donné la mort volontairement Arthur Noyer. Votre appréciation doit porter sur l’instant T. Ce qu’il s’est passé avant est totalement indifférent. Ce qu’il s’est passé après n’a rigoureusement rien à voir. Ce n’est pas parce que Lelandais est allé à une soirée le 13 avril pour donner le change, qu’il a tué Noyer volontairement le 11 avril. »
L’avocat estime que le mobile sexuel n’est pas démontré, et même s’il l’était : « So what ? Cela démontre qu’il a envie d’avoir une relation sexuelle furtive, cela ne montre pas qu’il veut le tuer. Quel que soit le caractère antipathique, quelles que soient ses incohérences, ça ne vaut pas 30 ans. Jugez fermement, mais jugez justement. »
par Julien Mucchiellile 12 mai 2021
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