Nullités de procédure : difficultés d’exécution de la décision

publié il y a 4 ans

Les actes frappés de nullité au cours de l’instruction doivent être retirés du dossier ou cancellés lorsqu’ils ne sont que partiellement annulés, les originaux devant être classés au greffe de la cour d’appel,et il est interdit d’en tirer aucun renseignement contre les parties.

par Hugues Diazle 20 juillet 2020


Crim. 17 juin 2020, F-P+B+I, n° 19-87.188

Dans le cadre d’une information judiciaire portant sur des faits d’arrestation, enlèvement, détention et séquestration en bande organisée, d’extorsion en bande organisée et d’association de malfaiteurs, une personne mise en examen a présenté une requête en annulation d’actes de la procédure. Après qu’un premier arrêt de la chambre de l’instruction ait été censuré par la Cour de cassation (Crim. 18 oct. 2017, n° 17-81.290), l’annulation de plusieurs actes a été prononcée, ainsi que l’annulation partielle d’une pièce, avec cancellation d’une partie de son contenu.

Il faut ici rappeler que, par application des dispositions de l’article 174 du code de procédure pénale, l’irrégularité d’un acte de procédure peut entraîner : soit son annulation intégrale, auquel cas il est retiré du dossier d’information pour être classé au greffe de la cour d’appel ; soit son annulation partielle, auquel cas il est simplement « cancellé » (c’est-à-dire biffé) après l’établissement d’une copie certifiée conforme à l’original classée au greffe de la cour d’appel.

Suivant pourvoi, puis nouvelle cassation, cette fois-ci sans renvoi, la chambre criminelle a étendu la portée de la cancellation susvisée (Crim. 9 mai 2018, n° 18-80.066, D. 2018. 1015 ; AJ pénal 2018. 359, note S. Fucini ; RSC 2018. 461, obs. F. Cordier ). Une nouvelle requête en annulation a été présentée, déclarée partiellement irrecevable, puis rejetée pour le surplus : cette décision a été confirmée par la Cour de cassation (Crim. 19 févr. 2019, n° 18-84.462). À l’issue de l’information judiciaire, la chambre de l’instruction a prononcé le renvoi devant la cour d’assises.

Soutenant que les copies de procédure remises aux parties en vue de l’audience de jugement comprenaient des pièces frappées de nullité, l’accusé a saisi la chambre de l’instruction sur le fondement de l’article 710 du code de procédure pénale d’une requête en incident d’exécution de l’arrêt ayant prononcé annulation. Selon la défense, les pièces annulées ne pouvaient figurer au dossier et les originaux devaient être conservés au greffe de la chambre de l’instruction. Eu égard à l’existence de ce contentieux pendant devant la chambre de l’instruction, la cour d’assises a ordonné le renvoi de l’affaire, après avoir relevé que les copies communiquées aux parties et au président de la cour comprenaient effectivement des pièces invalidées par la juridiction d’instruction.

Il faut à ce stade préciser, tel que cela ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation, que les incidents contentieux relatifs à la mauvaise exécution d’un arrêt de la chambre de l’instruction statuant en matière de nullité de procédure doivent effectivement être portés devant ladite juridiction. La cour s’assure alors de ce que les retraits et/ou cancellations de pièces ont été réalisés conformément à l’article 174 du code de procédure pénale, et, à défaut, prend les dispositions nécessaires pour qu’ils le soient effectivement (Crim. 9 mai 2018, n° 17-80.656, AJ pénal 2018. 359, note S. Fucini ; v. égal. Crim. 9 déc. 2014, n° 14-81.525, inédit).

Par arrêt avant dire droit, la chambre de l’instruction a déclaré la requête en difficulté d’exécution recevable, et, sur le fond, demandé la communication de l’original du dossier, ainsi que de l’ensemble des copies numérisées se trouvant au greffe de la cour d’assises, au-delà même de celle remise à l’accusé. Pour rejeter la requête, la cour a relevé que le dossier de procédure, en original comme en copies, était parfaitement régulier, les pièces annulées ayant été valablement retirées ou cancellées. Pourtant, la cour ajoutait que l’un des tomes du dossier d’instruction contenait les pièces afférentes aux recours en annulation, dont notamment les requêtes en nullité, les mémoires, réquisitoires, avis et arrêts rendus, ainsi que les dossiers des pourvois en cassation formés à l’occasion de ces contentieux, dont l’un comprenait copies des pièces annulées. Pour couper court à toute difficulté, la cour considérait in fine que les dispositions interdisant de faire référence à des pièces annulées ou cancellées suffisaient à garantir, en tout état de cause, que les décisions d’annulation soient respectées lors des débats devant la cour d’assises. La chambre criminelle de la Cour de cassation est venue logiquement censurer cette décision pour trois motifs distincts.

En premier lieu, est reproché à la chambre de l’instruction d’avoir affirmé que les pièces frappées de nullité avaient été valablement retirées du dossier d’information, alors que, dans le même temps, elle constatait que l’original du dossier comprenait les dossiers des différents pourvois en cassation où figuraient notamment des copies de pièces litigieuses. Partant, la censure était encourue par application de l’article 593 du code de procédure pénale pour contradiction de motifs. En effet, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision : la contradiction de motifs, qui équivaut à leur absence, peut entraîner la cassation de la décision contestée (J. et L. Boré, La cassation en matière pénale, Dalloz Action, Chapitre 83 - Contradiction de motifs).

En deuxième lieu, la Cour de cassation précise, très concrètement, que la règle posée par le dernier alinéa de l’article 174 du code de procédure pénale s’applique à tous les exemplaires, en original et en copie, de la procédure. En réponse aux arguments de la défense, elle prend toutefois le soin de préciser que l’obligation de retrait ne s’étend pas aux requêtes en annulation, aux pièces des procédures, ainsi qu’aux décisions auxquelles elles donnent lieu, même si celles-ci se réfèrent aux pièces dont l’annulation est demandée et les analysent, pour en apprécier la régularité. La chambre criminelle avait déjà eu l’occasion de considérer que « les dispositions légales relatives à l’annulation des actes de l’information ne sauraient s’appliquer aux écritures des parties » (Crim. 17 mars 1987, n° 86-96.682, D. 1987. Somm. 409, obs. J. Pradel), censurant ainsi une chambre d’accusation ayant ordonné le retrait du dossier d’écritures des parties faisant référence à des actes de la procédure antérieurement annulés.

En troisième et dernier lieu, la chambre criminelle désapprouve les juges du fond pour s’être retranchés, à tort, derrière les dispositions interdisant de faire référence aux pièces annulées pour rejeter la requête en incident d’exécution : dès lors qu’ils étaient saisis à cette fin, il leur incombait de s’assurer que les dispositions susvisées avaient été observées, et, le cas échéant, de prendre toutes mesures utiles pour qu’elles le soient.

Pour conclure, il convient de rappeler qu’il est logiquement interdit qu’une condamnation soit prononcée sur le fondement de pièces annulées (Crim. 18 juin 2019, n° 19-82.572, Dalloz actualité, 17 juill. 2019, obs. W. Azoulay ; 30 mars 2011, n° 10-81.298, inédit) – des poursuites disciplinaires pouvant être engagées à l’encontre des avocats et magistrats ayant méconnu l’obligation de ne pas en tirer des renseignements à l’encontre des parties (C. pr. pén., art. 174, al. 3).

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