Signification internationale : le point de départ du délai de recours contre un acte judiciaire signifié à l’étranger est la date de sa remise au destinataire

publié il y a 3 ans

La signification d’un acte judiciaire à l’étranger peut s’avérer longue et hasardeuse, surtout lorsqu’elle est effectuée en application du droit commun des significations internationales. En application de l’article 684 du Code de procédure civile, l’acte est en effet remis à parquet puis est transmis aux différentes entités compétentes pour les faire parvenir au destinataire de l’acte2. Par Sarah Monnerville Smith et Valentin Lévêque, Avocats au barreau de Paris, Eversheds Sutherland France LLP1.

Un des enjeux majeurs en la matière est la détermination de la date de signification à l’égard du destinataire car celle-ci constitue le point de départ des délais de recours.

Dans un arrêt du 30 janvier 20203, la Cour de cassation a apporté une confirmation bienvenue en affirmant qu’en application de l’article 684 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n°2017-892 du 6 mai 2017, «la date à laquelle est effectuée la remise à parquet de la décision à notifier ne constitue pas le point de départ du délai pour interjeter appel de cette décision».

Dans cette affaire, une société de droit taïwanais (Pro-Symnova) et son distributeur (Ögon Designs) ont assigné en contrefaçon et concurrence déloyale une société de droit français devant le Tribunal de grande instance de Nanterre. Les demanderesses ont été déboutées de l’ensemble de leurs demandes par jugement du 14 avril 2016. En vue de sa signification à la société Pro-Symnova, l’acte a été remis à parquet le 21 septembre 2016. La société Pro-Symnova a interjeté appel le 20 juin 2017, près de neuf mois après l’acte de remise à parquet, et la société Ögon Designs a formé un appel provoqué par conclusions du 27 décembre 2017. Par ordonnance du 22 février 2018, le conseiller de la mise a déclaré les deux sociétés irrecevables en leur appel principal et incident. La Cour d’appel de Versailles a rejeté le déféré formé contre cette ordonnance. La Cour de cassation censure sans détour l’arrêt d’appel, pour violation de la loi, au visa de l’article 684 du Code de procédure civile.

Cette décision opportune, rapidement confirmée4, s’inscrit dans un courant jurisprudentiel initié par la première chambre civile depuis 20115 et parachève les modifications introduites par le décret n° 2005-1678 du 28 décembre 20056. Elle met également un terme à une incertitude née de deux arrêts isolés rendus le 10 octobre 20187.

En effet, se départissant de sa jurisprudentielle traditionnelle, la Cour de cassation a par des arrêts remarqués rendus en 20118, 20149 et 201610, adopté une solution protectrice des droits du destinataire étranger estimant que la date de la signification (et donc le point de départ du délai de recours) n’était pas celle de la remise à parquet mais celle de sa remise au destinataire. Toutefois, par deux arrêts rendus le 10 octobre 2018, la première chambre civile avait semé le trouble en énonçant que la date de remise à parquet constituait, à l’égard du destinataire, le point de départ du délai de recours11.

Dans l’arrêt du 30 janvier 2020 précité, la Cour de cassation confirme, dans une formulation négative, que la date de la remise à parquet ne constitue pas le point de départ du délai pour former appel12.

Cette solution est désormais codifiée, dans une formation positive, au nouvel article 687-2 du Code de procédure civile, introduit par le décret n°2019-402 du 3 mai 201913. En effet, jusqu'en 2019, la date de la notification n’était prévue que pour l’expéditeur à l’article 647-1 Code de procédure civile14. Côté destinataire, le nouvel article 687-2 du Code de procédure civile prévoit désormais que :

« La date de notification d'un acte judiciaire ou extrajudiciaire à l'étranger est, sans préjudice des dispositions de l'article 687-1, à l'égard de celui à qui elle est faite, la date à laquelle l'acte lui est remis ou valablement notifié
Lorsque l'acte n'a pu être remis ou notifié à son destinataire, la notification est réputée avoir été effectuée à la date à laquelle l'autorité étrangère compétente ou le représentant consulaire ou diplomatique français a tenté de remettre ou notifier l'acte, ou lorsque cette date n'est pas connue, celle à laquelle l'une de ces autorités a avisé l'autorité française requérante de l'impossibilité de notifier l'acte.
Lorsqu'aucune attestation décrivant l'exécution de la demande n'a pu être obtenue des autorités étrangères compétentes, nonobstant les démarches effectuées auprès de celles-ci, la notification est réputée avoir été effectuée à la date à laquelle l'acte leur a été envoyé.»

Ainsi, la date de la signification ne sera réputée être celle de la remise de l’acte judiciaire à parquet qu’à titre très subsidiaire, si le destinataire n’a pas été touché et si l’huissier mandaté par l’expéditeur n’a pas obtenu d’attestation de non-remise des entités requises de l’Etat étranger15.

Si l’alinéa 1er de cet article apporte une clarification attendue sur la date de principe à retenir à l’égard du destinataire de l’acte, les 2ème et 3ème alinéas suscitent, chez les praticiens du contentieux international, quelques interrogations. Il appartiendra en effet à la jurisprudence de préciser le délai qui doit s’être écoulé entre la date de remise de l’acte judiciaire à parquet et le défaut d’obtention d’attestation de non-remise pour considérer que la signification doit alors être réputée avoir été effectuée à la date à laquelle l'acte a été envoyé.

Il est à cet égard intéressant de rappeler les dispositions de l’article 688 du Code de procédure civile qui prévoit, en matière d’actes extra-judiciaires, que s'il n'est pas établi que le destinataire de l’assignation en a eu connaissance en temps utile, le juge saisi de l'affaire ne peut statuer au fond que si :

«1° L'acte a été transmis selon les modes prévus par les règlement européen ou les traités internationaux applicables ou, à défaut de ceux-ci, selon les prescriptions des articles 684 à 687 ;

2° Un délai d'au moins six mois s'est écoulé depuis l'envoi de l'acte ;

3°Aucun justificatif de remise de l'acte n'a pu être obtenu nonobstant les démarches effectuées auprès des autorités compétentes de l'Etat où l'acte doit être remis.»

Sarah Monnerville Smith et Valentin Lévêque, Avocats au barreau de Paris, Eversheds Sutherland France LLP1

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1 Les auteurs remercient chaleureusement Sidonie Duru pour son aide précieuse dans la préparation de cet article.

2 Pour une présentation des modalités de signification, version consolidée de la circulaire CIV/20/05 du 1er février 2006 http://www.justice.gouv.fr/art_pix/eci_doc_circulaire_cons_20081120.pdf

3 Civ. 2ème, 30 janv. 2020, n° 18-23.917 : S. Jobert « Feu la « signification faite au parquet » des actes destinés à des personnes résidant à l'étranger », Dalloz actualité, 27 février 2020 ; H. Herman « Point de départ du délai pour former appel et signification d’un jugement à une personne résidant à l’étranger », Gaz. Pal. p.56, 28 avril 2020.

4 Civ. 2ème, 1er oct. 2020, n° 19-14.746 P.

5 Civ. 1ère, 23 juin 2011, n° 09-11.066 P ; D. 2011. 1831; Rev. crit. DIP 2012. 102, note F. Cornette.

6 Décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 relatif à la procédure civile, à certaines procédures d'exécution et à la procédure de changement de nom.

7 Civ. 1ère, 10 oct. 2018, n° 17-14.401 P et n° 16-19.430 P.

8 Civ. 1ère, 23 juin 2011, n° 09-11.066 P ; D. 2011. 1831; Rev. crit. DIP 2012. 102, note F. Cornette.

9 Civ. 1ère, 18 décembre 2014, n° 13-25.745, Bull. civ. I, n° 214.

10 Civ. 2e, 2 juin 2016, n° 14-11.576, Bull. civ. II, n° 147 ; Dalloz actualité, 21 juin 2016, obs. F. Mélin ; D. 2016. 1261; Gaz. Pal. 2016, n° 29, p. 71, obs. E. Piwnica.

11 Civ. 1ère, 10 octobre 2018, n° 17-14.401 et n° 16-19.430 : D. 2019. 1956, obs. L. d'Avout, S. Bollée.

12 La portée de cette solution doit s’étendre à toutes les voies de recours. En ce sens : S. Jobert « Feu la « signification faite au parquet » des actes destinés à des personnes résidant à l'étranger », Dalloz actualité, 27 février 2020.

13 Décret n° 2019-402 du 3 mai 2019 portant diverses mesures relatives à la communication électronique en matière civile et à la notification des actes à l'étranger.

14 Article 647-1 du Code de procédure civile : « La date de notification, y compris lorsqu'elle doit être faite dans un délai déterminé, d'un acte judiciaire ou extrajudiciaire en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises ainsi qu'à l'étranger est, à l'égard de celui qui y procède, la date d'expédition de l'acte par l'huissier de justice ou le greffe ou, à défaut, la date de réception par le parquet compétent ».

15 Pour une application jurisprudentielle récente : Aix-en-Provence, 15 octobre 2020, RG n° 19/16565.

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